Au Bénin, la transhumance religieuse est une réalité. Pour des raisons de santé, d’emploi, de mariage ou dans la recherche d’une pratique spirituelle qui leur convienne, plusieurs citoyens choisissent finalement de migrer du christianisme vers l’islam voire l’animisme ou vice versa. D’un migrant religieux à un autre, les motivations, quoique différentes, convergent vers une quête commune : le salut.
Quand il était encore chrétien catholique, Romuald Adjidékon n’était pas Saïd Mohamed. C’est sa conversion à l’Islam qui lui a valu ce nom de baptême. Tout était parti selon lui d’une inspiration naturelle influencée en partie par l’environnement dans lequel il vit désormais dans la capitale du Bénin. « Dans mon environnement immédiat, la plupart étaient musulmans et je trouvais beaucoup plus d’intérêt en les côtoyant », nous confie-t-il.
Tout comme lui, Johannes Agbessi longtemps animé par l’idée de partir, a fait son ultime choix en 2015, au lendemain de l’attentat contre le journal satirique français Charlie Hebdo. « J’ai eu le courage de mettre en exécution cette intention que j’avais, au lendemain de cet attentat parce que je n’appréciais pas trop la manière dont les médias occidentaux voyaient le truc », déclare le chrétien catholique de souche, également bercé dans un environnement à dominance musulmane.
« Depuis un bon moment, j’ai beaucoup plus d’amis musulmans et la plupart avaient de bons comportements. Mais ce n’est pas seulement ça qui a guidé mes pas vers la religion musulmane parce qu’avant de rentrer, j’ai fait un peu de recherches par rapport à cela et essayé de me renseigner sur ce qu’est cette religion, ce qu’elle prône, le message qu’elle véhicule, etc. Donc c’est tout cela qui m’a motivé à embrasser la religion musulmane », explique Johannes Agbessi baptisé Hamza.
Que ce soit Romuald ou Johannes, l’envie de trouver mieux ailleurs une nouvelle identité spirituelle était déjà là. En effet, ils remettent tous en cause certaines pratiques des églises chrétiennes, qui selon eux, contrasteraient avec ce qu’enseignent les textes bibliques. Notamment l’usage des statues et images dans l’Eglise romaine. Une raison que le pasteur Antoine Sagbo, serviteur de Dieu à l’Assemblée de Dieu de Tokan trouve pour sa part on ne plus pertinente citant la Bible : « Tu n’auras d’autres dieux que moi. Tu ne te feras aucune image sculptée… Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux » (Exo 3-4).
Pour le père Roger Gomis, prêtre du diocèse de Dakar au Sénégal, cité par le journal La Croix Africa sur les accusations d’idolâtrie régulièrement portées contre les catholiques, « il faut éviter de sortir ce texte de son contexte ». Il précise que « ces statues voulues par Dieu sont comme des signes de la présence protectrice et salvatrice de sa présence, destinés à éveiller la foi et la confiance des israélites» et doivent être utilisées avec sobriété. Mais Johannes Agbessi n’en est pas trop convaincu et a préféré, comme Romuald Adjidékon, s’islamiser.
Se convertir ou chômer
Quitter une Eglise pour une autre peut parfois résulter d’une imposition. Plusieurs jeunes sont souvent confrontés, dans la quête d’emploi à cette réalité à laquelle certains finissent par se soumettre pour ne pas finir chômeur. C’est le cas de Laurence M. qui vit à Bembèrèkè. Dans le dossier à fournir pour la demande d’emploi dans un hôpital où elle devrait travailler, nous confie-t-elle, « figure un papier signé par un pasteur de l’église évangélique, attestant que le candidat fait partie d’une congrégation évangélique. » Ce qu’une autre source qui préfère garder l’anonymat a confirmé à notre rédaction. Elle autre a dû se plier aux injonctions pour se faire accepter au poste recherché au sein de l’hôpital appartenant à une Eglise évangélique. «C’est donc toute personne de l’une des églises évangéliques qui peut y obtenir boulot. Mais certains docteurs qui ne fréquentent aucune des églises évangéliques, y travaillent aussi. »
Contrairement à elle, Laurence M. n’a pu souscrire à la condition exigée. Cela « m’a empêchée d’y prendre service, puisque moi je suis céleste (le Christianisme céleste est une Eglise fondée par le pasteur Samuel Biléou Joseph Oshoffa le 29 septembre 1947).» Le pasteur Antoine Sagbo ne partage pas l’idée de rejoindre une église parce qu’on y est obligé pour des raisons d’emploi. « C’est malheureux », s’exclame-t-il avant de se demander : « Si tu quittes ta religion pour une autre à cause du travail et qu’après on te chasse de là-bas, tu iras où ?» A l’en croire, l’objectif principal dans tous les cas doit être : avoir la vie éternelle. « La meilleure réponse pour le chrétien c’est d’avoir la vie éternelle. Quand tu viens à l’église à cause du mariage, à cause d’emploi, tu ne t’es pas donné au Seigneur »
Migrer ou changer de partenaire
Dans bien de cas, les fidèles d’une même religion se marient entre eux. Autrement, pas d’alliance approuvée entre un catholique et un évangélique par exemple. Et même si les deux conjoints le décidaient, cela n’engage qu’eux car selon le pasteur Antoine Sagbo il importe pour l’homme et la femme de se « ressembler spirituellement et d’avoir la même vision céleste. » Lui avoue n’obliger personne à rejoindre l’Eglise des Assemblées de Dieu parce que amoureux d’un ou d’une fidèle. Toutefois il ajoute qu’être de deux bords religieux différents est source de destruction des couples.
Au-delà, ne serait-ce pas une manière de faire un brassage interreligieux ? Face à cette question, la réponse du pasteur est catégorique : « C’est une manière même de détruire des vies. Et ça détruit les foyers », affirme-t-il. Aussi de nombreuses femmes notamment sont-elles souvent obligées de suivre leur mari dans sa religion afin de sauver leur vie conjugale ou par amour.
La foi en Dieu comme élément fédérateur
Hormis les pratiques qui diffèrent d’une religion à une autre, ce qui réunit chrétiens et musulmans c’est Dieu. Prétendre trouver miracle ailleurs en prenant la clé des champs n’est qu’illusion. « Ce n’est pas le fait de quitter qui est la solution mais c’est le fait de surmonter » la situation que l’on traverse en nouant une relation personnelle avec son Dieu, conseille le pasteur Antoine Sagbo.
« Si tu es musulman et que tu es convaincu de là où tu es, il faut nouer une relation personnelle avec Dieu. Si tu es catholique et tu sais que ce que la Bible dit c’est ça les gens font et qui peut t’amener à avoir la vie éternelle demain, reste là et développe ta relation intime avec ton Dieu. Pareil si tu es évangélique », poursuit-il.
Quant à Johannes Agbessi, la foi n’est pas forcément une question personnelle. « On ne croit pas en ce qu’on veut mais on croit en ce qu’on nous a ordonné de croire. […] La foi s’appréhende du point de vue religieux que personnel et ce n’est même pas du tout personnel. » Il est heureux de l’accueil fraternel à lui réservé par les musulmans. « J’ai été accueilli d’une manière à laquelle je ne m’attendais pas. »
De son côté, Saïd Mohamed se plaît bien en tant que chrétien converti en musulman. Il se réjouit de l’acception des autres dans sa nouvelle religion et ne rejette pas la différence religieuse. « Chacun est mieux dans son domaine », conclut-il.
Au Bénin, environ 50% des populations pratiquent le christianisme tandis que 27% sont des musulmans. 14% sont des adeptes des religions traditionnelles. Le reste est partagé entre les sans religion et ceux d’autres religions. Ces chiffres non statiques du fait des transhumances, résultent du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH4) de mai 2013.
Emmanuel M. LOCONON
Laissez un commentaire