Le parlement béninois a adopté le mardi 05 mars 2024 un nouveau code électoral. C’est au lendemain de l’échec de la révision de la constitution. 79 députés sur les 109 que compte l’Assemblée nationale du Bénin ont donné caution favorable au nouveau texte devant régir l’organisation des élections générales de 2026. La mouvance dans sa vision de renforcer la réforme du système partisan corse les conditions de participation à cette compétition électorale d’une part mais réduit la caution pour les candidats. Le nouveau texte voté suscite analyse et commentaire de plusieurs observateurs, analystes, scientifiques et des acteurs politiques. Dans le rang des scientifiques, on peut désormais compter la voix du professeur Alain Babatounde, Maître de conférences agrégé au Département d’Economie de l’université d’Abomey-Calavi (UAC)
Nouveau code électoral au Bénin : Quand le choix de l’échec devient une stratégie gagnante !
Après les étapes de vote et d’adoption par le parlement puis le contrôle de conformité avec la Constitution par la Cour constitutionnelle, le code électoral a été promulgué par le Président de la République. Ainsi, à date, la loi N° 2024-13 du 15 mars 2024 modifiant et complétant la loi N° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral, devra régir les prochaines élections en République du Bénin. Elle fixe en particulier de nouvelles arithmétiques pour les élections présidentielles et législatives à venir.
Dans le cadre des prochaines élections présidentielles (article 132 nouveau), le seul critère de 15% des parrains disponibles (soit 28 parrains) aurait favorisé le positionnement de six (186/28) candidats à cette élection ; dans un tel schéma, la liberté de choix, même ainsi réduite, donne encore un pouvoir de parrainage aux élus concernés. C’est l’essence du parrainage dans un système de représentation, sous l’hypothèse que le représentant fasse recours aux mandants dans l’exercice d’un tel pouvoir. Un autre critère dans l’arithmétique du code, relative à cette élection, le parrain (député ou maire) ne pourra parrainer qu’un candidat membre ou désigné du parti sur la liste duquel il a été élu. Au meilleur des cas, le parti désigne plusieurs candidats à concurrence des parrains en compte ; ce qui est moins plausible. Au pire des cas, le parrain est contraint : dès lors qu’il ne peut parrainer que le candidat de son parti, point n’est besoin d’avoir son entière adhésion ou approbation sur le choix de son parti. Le parrainage du parrain est acquis et requis d’office par le parti. Dans ce second schéma, seulement trois partis (Upr, Br et Ld) en capacité de remplir ces critères vont présenter un candidat pour les prochaines élections présidentielles.
In fine, le nombre de candidat à l’élection présidentielle est déterminé par le nombre de parti en capacité de parrainer (15%), c’est-à-dire trois. C’est cette contrainte dans le parrainage qui vide le principe de son sens premier. Même à fixer le premier critère à un seuil de 5% ou 25% au lieu de 15%, le nombre de candidats sera toujours celui des partis en capacité de parrainer si le second critère tient. Ces critères et d’autres ont suscité des réactions assez variées dans l’opinion publique relativement au type de mandat (représentatif ou impératif) des parrains.
D’autres réactions sur le code concernent indubitablement les dispositions relatives aux élections législatives. L’article 146 nouveau dispose en effet, que seules sont éligibles à l’attribution des sièges, les listes, ayant recueilli au moins 20% des suffrages valablement exprimés dans chacune des circonscriptions électorales législatives. Au nombre des réactions, il y a particulièrement celle du profeseur Albert Honlonkou, parue dans le journal La Nation du 25 mars 2024, en ce qui concerne les trois stratégies s’offrant aux acteurs : (A) gagner les 20% par circonscription
électorale ; (B) conclure des accords de gouvernance pertinents ou démarcher des fusions ; (C) empêcher ses adversaires d’avoir les 20% dans une circonscription. Sans nul doute et de très loin, dans les conditions actuelles, la troisième option reste la meilleure stratégie, la plus simple et la plus facile à mettre en œuvre pour l’un quelconque des partis politiques régulièrement enregistrés au Bénin (Mpl, Fcbe, Upr, Udbn, Moele, Ld, Br, etc).
En effet, le critère sur cette matière a fait exclusivement l’hypothèse forte de plus de 20% des suffrages dans toutes les 24 circonscriptions électorales. Il y a pourtant une hypothèse très faible de plus de 80% des suffrages dans une seule circonscription électorale qui déconstruit tout le processus électoral en l’état actuel. Il faut juste situer une telle élection législative dans le contexte d’un jeu entre partis politiques. Depuis John von Neumann, la théorie des jeux sert à modéliser des situations où des acteurs sociaux prennent des décisions individuelles séparées, mais ayant un impact combiné sur les acteurs. Trois ingrédients de base sont : (i) les joueurs définis ici par les partis politiques ; (ii) les règles du jeu définis par les critères dans le code électoral dont l’attribution ou non de sièges ; (iii) l’ensemble des stratégies.
En théorie de jeu, la rationalité de base est une règle de maximisation du profit individuel : les joueurs doivent trouver une stratégie qui leur garantisse une utilité maximale dans toutes les circonstances. Une solution ou un équilibre à la Nash est une combinaison de stratégies, une par joueur, telle que chaque joueur maximise son gain, compte tenu de ce que font les autres joueurs. Dans les conditions actuelles du code, la seule stratégie gagnante pour un parti politique est (S1) « Recueillir au moins 20% des suffrages dans toutes les circonscription électorales ». Si donc le parti X joue cette stratégie, la question est de savoir quelle est en réaction, la meilleure stratégie du parti Y qui maximise son utilité ou gain ? Deux stratégies s’offrent à lui : (S1) « Recueillir au moins 20% des suffrages valablement exprimés dans toutes les circonscriptions électorales législatives » (S2) « Recueillir plus de 80% des suffrages valablement exprimés dans une seule circonscription électorale législative ». Si les issues du jeu sont équiprobables pour les deux joueurs, l’équilibre de Nash en stratégies pures qui assure un gain maximal pour chacun est (S1, S2) dans lequel les deux partis jouent « Recueillir au moins 20% des suffrages dans toutes les circonscriptions électorales ».
En l’absence d’équiprobabilité (c’est le cas lorsque le rapport de force est défavorable à un parti par exemple), les stratégies S1 et S2 sont équivalentes pour le joueur défavorisé. Avec S1, il perd plus de ressources (hommes, temps, finances, matériels, etc.) et gagne zéro siège ; avec S2, il perd moins de ressources et gagne zéro siège. En toute rationalité, il jouera sa meilleure stratégie S2 avec en bonus, une probabilité de gain au jeu suivant (annulation et reprise des élections).
Ainsi, sous l’hypothèse de rapport de force inégal, la meilleure stratégie pour le parti fragile est de jouer « Recueillir plus de 80% des suffrages valablement exprimés dans une seule circonscription électorale législative ». C’est une option pour l’échec du parti mais en même temps, une stratégie de réussite parce qu’à l’issue de l’élection, quel que soit le résultat du parti « fort », elle doit être annulée et reprise, aucun des parti n’ayant réussi le critère d’au moins 20% des suffrages valablement exprimés dans chacune des circonscriptions électorales législatives de l’article 146 pour être éligible à l’attribution des sièges. On comprendra alors, que l’impossibilité d’attribution des sièges n’adviendra pas seulement parce qu’aucun des partis engagés n’aura recueilli 20% des suffrages dans les 24 circonscriptions, mais aussi, parce qu’un seul parti aura recueilli plus de 80% des suffrages dans une seule circonscription. Un tel jeu peut se répéter avec les mêmes stratégies pour autant que le parti « faible » joue la stratégie S2. Bien évidemment, cette analyse est limitée au critère de 20% au niveau de la circonscription, sous réserve de celui des 10% au niveau national. Par contre, les accords de coalition parlementaire sont de nature à davantage fragiliser le parti « faible » qui trouvera en la stratégie S2, une meilleure option. Il faut juste observer par circonscription électorale, les suffrages exprimés recueillis (et non le nombre de sièges attribués) par les différents partis en lice aux dernières élections législatives de 2023 pour se rendre compte de la pertinence de la stratégie gagnante (S2) et du réalisme de l’hypothèse qui la sous-tend.
Trois conséquences émergent.
Primo, la codification binaire de l’éligibilité à la répartition des sièges (1/0, Oui/Non) peut devenir un piège sans fin qui déconstruit le processus électoral législatif et le principe d’élections générales. Elle rappelle le bien connu jeu de la poule mouillée : « Deux adolescents roulent l’un vers l’autre dans un concours de courage pour voir qui restera en ligne droite le plus longtemps. Il existe un équilibre de Nash en stratégies pures où l’un des jeunes continue tout droit, tandis que l’autre décroche, et il existe un autre équilibre où les rôles sont inversés. Il va de soi que chacun préfère l’équilibre où il est le «rebelle» et l’autre la «poule mouillée».
Deuxio, dans un dispositif normatif comme celui du code, le droit d’échouer ne doit pas être préférable au droit de gagner comme c’est exposé plus haut. Il rappelle cette réflexion « Incohérence : l’exception béninoise » mise en avant après l’échec du processus de révision de la constitution.
En effet, dans un système politique partisan, un membre de la mouvance présidentielle, est un partisan du pouvoir en place, celui qu’incarne le gouvernement exécutif; un membre de l’opposition sera en conséquence, un non partisan de ce pouvoir. Ainsi, par principe de rationalité, en face de l’intérêt général, on peut s’attendre à un ralliement entre partisans de la mouvance et partisans de l’opposition mais jamais, à une inversion de rôles entre les deux corps du système politique, dans laquelle l’opposition s’accorde avec le pouvoir en place et la mouvance se désolidarise de ce pouvoir. C’est cela l’exception béninoise qui éprouve la cohérence de l’esprit rationnel.
Tertio, et c’est un enjeu plus collectif, l’issue de l’élection lorsque S2 se joue avec annulation et reprise, doit être considérée comme un luxe et une extravagance pour les finances publiques, étant donné les incidences financières et budgétaires qu’un tel scénario peut appeler. Non seulement la contrainte de ressources recommande de l’exclure de l’ensemble des stratégies possibles, mais aussi et surtout, elle remet en cause la rationalisation des dépenses électorales contenue dans le principe des élections générales.
Alain Babatoundé
Maître de conférences agrégé
Département d’Economie (UAC)
Laissez un commentaire